pasteur lisant l'évangile
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 » Voir les choses (et les personnes…) en face ! « 

Dimanche 22 avril 2018

 » Voir les choses (et les personnes…) en face ! « 

Lectures : Marc 2,1-12 ; 3,1-6

par le pasteur Jean-Marie de Bourqueney

 

Texte de la prédication

 » Voir les choses (et les personnes…) en face ! « 

Marc 2,1-12 ; 3,1-6

Jean-Marie de Bourqueney

 

Si l’on voulait diviser l’Église, ce serait facile. Il nous suffirait de reposer la sempiternelle question des miracles : les miracles sont-ils des faits réels ou des récits symboliques ? Nous ne rentrerons justement pas ce débat. Plutôt que de chercher à savoir comment cela est passé, je vous invite à réfléchir ensemble : qu’est-ce que ce texte nous dit aujourd’hui ?

Contexte : à l’époque de Jésus, la « théologie de la rétribution » était une forme d’explication médicale : ce que je subis est le résultat d’un péché passé, de ma part ou même avant moi. Jésus va entrer dans ce discours, mais pour aller vers toutes les situations de souffrances. L’important ce n’est pas le discours que l’on porte sur ces situations mais la réalité des situations de souffrance. Comment, comme chrétien, à la suite du Christ, allons-nous vers les situations de souffrances ? exemples de la Cimade et de l’Entraide, ou même de nos situations quotidiennes en croisant dans la rue une personne SDF ou dans quelque forme de souffrance que ce soit…

Le premier personnage de ce récit est sans doute la foule.

Cet homme en situation de souffrance ne peut pas s’approcher de Jésus ; la foule devient un écran, dans le sens de faire toujours écran entre la réalité et nous. Cela correspond bien à la réalité de notre société. Nous avons nous-même une foule d’écrans, jusque dans notre poche… Nous pensons connaître presque tout du monde au travers de ces écrans. Mais que voyons-nous du réel ? Notre société est en même temps « immédiate » (dans cette illusion de tout savoir tout de suite) et « hyper-médiatisée » par nos écrans : je crois connaître par écran, j’ai « des amis » que je peux n’avoir jamais vus… Aujourd’hui, il existe aussi d’autres écrans entre les souffrances et nous :

  • Tabous : par exemple celui de la mort évacuée dans les endroits cachés, même si notre société évolue sur ce point. Lorsque j’ai commencé mon ministère pastoral, il n’était pas rare que le « dépositoire » des hôpitaux soit à côté du « dépotoir » des poubelles. La tentation est celle d’une fragmentation de la société qui nous permet de ne plus voir les choses si elles nous gênent, jusqu’à une forme d’apartheid : voir ce qui nous plaît, repousser ce qui nous déplaît ou, pire, nous gêne…
  • Lois : bien sûr, il en faut pour qu’une société protège ses membres et leur permettent un épanouissement possible. Bien sûr, il faut que chacun soit traité de la même manière et respecte la loi de la même manière. C’est la condition pour que la justice puisse être rendue. Mais la loi ou les procédures peuvent devenir des écrans. Les personnes deviennent des dossiers, des numéros, ou des statistiques… Ne devenons-nous pas comme les pharisiens qui « veulent faire mourir Jésus » car il a guéri un homme lors du shabbat ? D’ailleurs, cette question précise de ce que l’on peut faire pendant le shabbat, notamment sauver un homme, était une question essentielle du judaïsme. Au moment de la rédaction de l’évangile, nous sommes dans la seconde partie du 1er siècle, en pleine période d’élaboration de la Mishna, qui est la 1e partie du Talmud. Le débat existe donc et il débouchera, d’ailleurs bien après la rédaction de cet évangile, sur une série d’exceptions à l’interdiction de faire quelque chose le jour du shabbat. Jésus fut donc précurseur…
  • Il existe aussi un écran plus perfide : l’habitude. Par exemple, la banalisation de la mort en image, habitude de la pauvreté et de l’exclusion jusque dans nos rues, devant chez nous ! Dans l’évangile, cette habitude est maintes fois dénoncée : les personnes sont enfermées par habitude dans des cases : mendiants, veuve, pécheur,… Quelles sont nos étiquettes d’habitude, celles qui enferment ou écartent l’autre en souffrance ?

Le deuxième personnage, ce sont « les amis ».

C’est grâce à eux que Jésus peut parler à cet homme paralysé. C’est en quelque sorte l’idéal de tout acte d’entraide : amener chaque personne à la meilleure solution pour elle ! Conseiller la personne, l’accompagner, la porter. Dans ce récit c’est même au sens littéral de porter cette personne malade. C’est la 1ère transgression de l’écran : traverser la foule (ce qui fait écran entre la souffrance et sa solution), et faire un trou dans le toit de la maison (toit plat et peu solide), autrement dit supprimer les écrans. Cela représente effectivement une double image :

  • Image de l’entraide : un vrai modèle, à l’opposé de la notion de « délit de solidarité ». C’est d’ailleurs là une drôle d’expression. Comment mettre ensemble ces deux mots. A quand le « crime d’amour » ?
  • C’est aussi l’image de la foi : Toutes et tous, nous l’avons vécu dans nos parcours de vie et de foi. Il existe, pour nous, des personnes qui ont compté, qui nous ont amenés vers une démarche personnelle de foi. La foi se vit donc aussi au travers des rencontres humaines

Le troisième élément du récit, c’est le blasphème de Jésus.

Il reste un dernier écran qui empêche cet homme de trouver la solution de son bonheur : l’écran religieux. Seul Dieu peut pardonner, autrement dit, seul le pouvoir religieux peut guérir. Et Jésus, en osant le faire, transgresse cette règle et « détache » la foi de la religion comme pouvoir d’une institution ; il affirme aussi la divinité de son message au travers de ces mots qui guérissent les maux. Les scribes le lui reprochent mais lui préfère l’humanité réelle aux grands principes. De ce blasphème est née une résurrection, celle de cet homme qui « se relève » (verbe de la résurrection). Ramener l’exclu au centre de la scène qui peut alors repartir vers sa propre histoire, libre. La foi n’est pas forcément la religion, et en tout cas la religion n’est pas un pouvoir et ne doit pas l’être. Le christianisme a souvent oublié cela…

Qui avons-nous aidé à ressusciter ? Mais au fond, je parle d’aider les autres, je nous compare aux amis du paralytique. Et si c’était nous le paralytique ? Et si nous avions besoin des autres pour détruire ce qui fait écran entre notre bonheur et nous ? entre le Christ et nous ? qui seront nos amis ? et si c’était un peu l’Eglise elle-même. Où est le Christ ? dans ce récit il est « à la maison », à Capernaüm, sa « base arrière », loin de Jérusalem la religieuse. Il est chez lui, différent du Jésus qui guérit « en passant ». Il est chez lui et c’est nous qui allons le voir. Et si la maison du Christ c’était aussi, un peu, chez vous ? Quand vous rentrerez chez vous, entrez dans la maison du Christ.

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