
« Sommes-nous vraiment des brebis à l’instinct grégaire ? »
Culte du dimanche 30 septembre 2018
par le pasteur Jean-Marie de Bourqueney
Lecture : Ézéchiel 34,11-16 et Jean 10,1-6
Texte de la prédication
Dimanche 30 septembre 2018
« Sommes-nous vraiment des brebis à l’instinct grégaire ? »
Ce texte de l’évangile est-il compatible avec le protestantisme ? Devrions-nous demander (à qui ?) la suppression de ce texte ? En effet, notre protestantisme est rétif à l’idée d’un « berger », dans le sens d’un chef que nous suivrions aveuglément. Notre protestantisme, c’est que chacun parle en son nom, donne son avis et que le débat existe à partir d’avis multiples. Nous n’aimons pas l’idée que nous serions les moutons grégaires et suiveurs sages… Cette attitude est aussi, disons-le, nourri par une petite pointe d’antipapisme… Nous avons même parfois du mal à dire du bien du pape. Et pourtant…
Nous préférons cultiver nos diversités ; nous aimons nos différences. Nous n’aimons pas, par exemple, nous sentir « tenus » par des prises de positions de notre Église ou de la Fédération Protestante. Nous n’aimons pas faire comme les autres. Cela fait partie de notre compréhension même de la religion. Celle-ci n’est pas une aliénation, elle n’est pas l’opium du peuple, elle est l’expression d’une liberté fondamentale, d’une conscience et d’une expérience personnelle, intime. Elle n’est pas (ou plus) une appartenance sociale, ethnique ou culturelle, elle est une libre adhésion où chacun apporte ce qu’il est et ne se laisse dicter ni sa foi, ni sa morale, ni même ses opinions politiques. Et voilà que ce texte parle d’un berger dont nous serions par conséquence, les moutons ! Le pauvre mouton, qui n’a d’ailleurs rien demandé, a mauvaise presse, surtout depuis que Rabelais a donné un nom à leur instinct en faisant jeter un mouton à l’eau par Panurge et que les autres ont suivi… Serions-nous des moutons de Panurge ? Certains responsables religieux en rêvent peut-être encore : uniformité de la pensée et de la pratique, Vérité qui s’imposerait d’en haut sans débat. Cette dérive guette toutes les religions… y compris dans notre Église. Nous faisons tout ici à Batignolles pour éviter cela et conserver à chacun sa liberté d’opinion, de foi, de spiritualité…
Revisitons tout de même ce symbole du berger, afin de voir s’il n’a pas quelque chose à nous dire de fondamental. D’où vient-il ? Il existe dans la littérature intertestamentaire, qui nourrit les textes des évangiles. Mais il est enraciné dans une tradition plus ancienne. On le retrouve par exemple dans le Ps 23 : « Le Seigneur est mon berger… ». Ici, il s’agit d’une vision générale du Royaume : les « verts pâturages », que l’on retrouvera aussi dans l’évangile, dans le récit de la multiplication des pains. Dans cette vision du Royaume, la figure du berger marque la confiance en un avenir personnel : « mon » berger. C’est sans doute ici une différence fondamentale avec certaines religions orientales, qui partent d’un autre point de vue, celui d’un destin de « fusion dans un tout ». Les trois religions issues de la tradition biblique affirment plutôt une personnalisation de la destinée. Il existe un au-delà de chaque vie dans les mains de Dieu.
La figure du berger exprime donc d’abord un « Amour ». Ce mot est hélas galvaudé (surtout en français, qui n’emploie qu’un verbe pour aimer Dieu, pour aimer sa femme et pour aimer le foie gras…). Ce mot est mis à toute les sauces… Dans la Bible, l’amour de Dieu est d’abord un choix : celui qui va vers l’être humain. Il s’accompagne d’une immense responsabilité : accompagner chacun, encore une fois de manière personnalisée, dans son propre chemin. L’évangile de Jean se fait l’écho de cette idée d’une relation personnelle : « je connais mes brebis et elles me connaissent »
Le Dieu de la Bible est un Dieu qui ne vous lâche pas même s’il vous laisse libre. Il est une présence discrète qui propose sans s’imposer. L’amour est une « autorité », au sens étymologique de « rendre l’autre auteur de sa vie ».
Quant au texte d’Ézéchiel 34, il nous donne une perspective plus historique, plus concrète. Il est rédigé dans la période sombre de l’histoire de Jérusalem, entre les deux « chutes » de 597 puis 587 av JC qui virent l’élite déportée, le temple pillé puis rasé, détruit. Bref tout s’effondre c’est le chaos de l’Exil à Babylone. Mais au milieu de ce chaos historique, le texte affirme l’espérance nourrie dans cette figure du berger. Au-delà de l’épisode historique, c’est bien une perspective spirituelle : « Dans toutes nos détresses, Dieu nous protègera », comme le chantait ce vieux cantique… Dieu ne fait pas à notre place mais il trace une route du possible, un chemin de l’espérance que nous pouvons emprunter. De plus, dans ce contexte, ce chemin est de rassembler tout le peuple morcelé par l’Exil. C’est donc une perspective d’unité dans la diversité et non d’uniformité qui est tracée ici. Panurge nous a en fait détourné du symbole, et nous ne sommes pas pris pour des bêtes stupides et passives.
Un autre aspect de l’évangile de Jean nous invite aussi à réfléchir : l’opposition par rapport aux faux bergers, ceux qui se servent et ne servent pas l’intérêt commun. Ceux-là trahissent doublement l’amour : celui que Dieu leur porte, et celui qui devrait exister entre le peuple et eux. Cet amour repose sur une confiance et une responsabilité, tournée vers les autres. On ne s’engage pas dans l’Église pour se servir mais pour servir, même si on reçoit beaucoup de l’Église par les spiritualités, par les cultes, par les formations, par la convivialité et dans les rencontres des personnes à qui l’on rend service. Dans le texte, le mercenaire abandonne les brebis et trahit leur confiance. Dans cet évangile, il existe une opposition dramatique et symbolique qui monte en puissance entre la confiance, incarnée par jésus, et la défiance jusqu’à la trahison de Judas.
Pour dire cela autrement, revenons à deux mots grecs opposés. Le diabolos (diable) ce qui sépare, ce qui casse, ce qui fracasse. À l’inverse, le sunbolos (symbole) est ce qui, mot-à-mot nous « porte ensemble ». Nous avons comme vocation à être des « symboles » et non des « diables », des personnes accompagnées par un berger qui ne nous oblige à rien mais nous donne beaucoup, et nous pousse intimement à nous tourner vers les autres et à former une communauté fraternelle, pas un troupeau grégaire.
Sans doute, selon les phases de la vie, sommes-nous plus ou moins autonomes. Il est des temps d’aspiration à la liberté, des temps où l’on plus besoin de sentir accompagné, des temps de nécessaire solitude et des temps de la rencontre. Mais il y un temps pour tout et cette intime présence demeure, qui nous donne cette énergie de vie. La foi est cette relation intime d’amour avec le divin qui nous invite à donner du sens spirituel et humain à ce mot : amour !
Jean-Marie de Bourqueney
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