
« Sommes-nous ce que nous faisons ? »
Culte du Dimanche 17 juin 2018
Lectures : Luc 10,38-42, Marthe et Marie
par le pasteur Jean-Marie de Bourqueney
Texte de la Prédication :
« Sommes-nous ce que nous faisons ? »
Jean-Marie de Bourqueney
C’est étrange combien certains textes font partie de nos parcours et de nos réflexions de manière évidente, ou presque. J’ai toujours entendu chez beaucoup de personnes combien ce texte plait. Arrêter de s’agiter comme Marthe…. A quelques semaines des vacances d’été, c’est un programme délicieux : arrêter de se soucier de tout, et se mettre au repos. C’est notre programme. Croyez-bien en tout cas que c’est le mien… et, j’allais dire, pour le reste de l’année, se mettre à l’écoute de la Parole, « boire » les paroles du Christ et ne soucier que de cela. Le rêve de tout chrétien ou presque. Oui mais, car il y a toujours un « mais », en même temps, ce texte nous dérange voire même nous provoque. Car que sont nos vies de tous les jours si ce n’est de courir après le temps pour « faire » ce que nous avons à faire, des tâches ménagères, notre travail, nos engagements. Comme l’on dit dans le scoutisme, « toujours prêt ! », c’est-à-dire à l’action… Même dans nos vies familiales, il ne faut pas oublier de rappeler un cousin, un ami, que vous devez absolument revoir, parce que vous lui avez dit : on se téléphone et on s’invite… Nous sommes en retard pour tout, toujours en retard dans notre activisme, qui parfois ressemble à de l’agitation sur place… Et voilà que ce texte vient nous dire : arrête-toi !
Que sont même nos vies d’Église si ce n’est passer tout notre temps à faire des choses, tant de choses. Moi à préparer ce culte, à faire une étude biblique sur l’Apocalypse, à recevoir quelqu’un en détresse, à écrire un article pour Évangile & liberté ou Réforme, sans oublier de préparer le planning de l’année prochaine. D’autres à organiser ce repas qui va suivre ou à préparer ces contes bibliques, ou à faire chanter la chorale au plus juste, à vider, ranger, toutes les salles du temple en vue des travaux de l’été, à organiser et à suivre ces travaux énormes, à préparer le permanences et l’amélioration de la domiciliation, à chercher des bénévoles pour le groupe de jeunes ou pour les autres équipes d’activités à venir, à se soucier de la communication, à préparer le journal et le site internet… Et voilà que ce texte vient nous dire : arrête-toi !
Nous devons avoir un coté maso à aimer ce texte qui nous engueule ! Oui mais, car il y a toujours un « mais », peut-être que ce texte ne dit pas exactement ce que nous croyons qu’il nous dit…
La première lecture que l’on peut faire de ce texte est une analyse de « l’être » et du « faire ». Marthe s’active, elle est dans le « faire ». Son identité sans doute se joue là, précisément. Un peu comme lorsque nous nous présentons devant une administration, nous déclinons nos noms, date de naissance et « qualité », c’est-à-dire notre profession, notre faire. Comme si cela disait ce que nous sommes. C’est une étiquette, utile pour nous reconnaître certes, mais sans doute insuffisante pour dire ce que nous sommes, en profondeur. Car malheur alors à celui qui n’a plus de « faire » officiel, soit par le chômage, soit par choix personnel, soit par la retraite. Nous devons être productif, actifs, rentables. Sinon, nous ne sommes rien. D’ailleurs, certaines personnes ne supportent pas l’inaction, la non utilité, que ce soit en vacances ou à la retraite. Même là, il faut faire, encore faire et toujours faire. Et voilà que ce texte vient nous dire : arrête-toi !
Ce texte, et c’est indéniable, vient nous dire que notre « être » aussi a de l’importance, que nous ne sommes pas simplement ce que nous faisons… On sent bien que ce message porte dans notre réalité d’aujourd’hui. La vertu suprême devient la rentabilité, le rendement, l’efficacité. Alors, parfois, on déguise cela, dans les start-up bobos, par des « salles de relaxation » et autre baby-foots dans l’entreprise, oui mais, si vous rentrez chez vous avant 21h, vous n’êtes rien. Il n’y a que peu de place pour l’être, mais juste pour le « faire » efficace. Combien de dépressions, de burn-out, nous faudra-t-il encore pour comprendre que faire des choses devrait être une forme de liberté, d’émancipation, d’autonomie et, en même temps, d’utilité sociale, de manière de vivre ensemble. Mais que ce n’est pas le seul élément de notre identité profonde. Et même lorsque l’on prétend être, il faut encore faire des choses pour l’être : courir, aller à la piscine, s’occuper de ses enfants, faire du yoga, visiter les musées, lire de la littérature. … Tout cela est très bien, mais nous sommes encore dans le « faire ». Quand sommes-nous dans l’être en dehors de notre sommeil et de ses rêves ? Quand sommes-nous Marie ?
Et voilà que ce texte vient nous dire : arrête-toi !
Oui mais, car il y a toujours un « mais » … Entrons dans le détail du texte :
- Son contexte : La parabole du samaritain est juste avant. Contrairement à la lecture classique que nous faisons trop souvent de cette parabole, celle-ci nous apprend non pas à faire, à donner, mais à recevoir. En effet Jésus nous identifie à l’homme blessé sur le bord de la route qui reçoit de l’aide du Samaritain… De plus, celui-ci, par les symboles employés dans la parabole est la figure du Christ. Apprendre donc à recevoir du Christ… comme Marie…
- C’est Marthe qui reçoit Jésus et donc l’accueille. Marie est absente de cette phase du récit. Elle en dehors de la relation d’accueil du X. si l’on peut prendre une comparaison, Marthe est la chrétienne parfaite, qui accueille, à la domiciliation, avant le culte, lors du repas qui va suivre, etc… Marie est absente, en dehors du premier cercle de l’Église… Il faut donc rendre hommage à Marthe qui cultive, comme nous cherchons à le faire, le sens de l’accueil. Nous l’avons mis en exergue de notre parvis du temple : oui, comme Marthe, nous accueillons. Je revendique donc notre « marthisme » actif de l’accueil. Elle va servir le Christ, le mot employé en grec dans le textes est diakonia, c’est-à-dire diaconie.
- Oui mais, car il y a toujours un « mais », elle va faire trois erreurs : dans son « service », sa « diaconie », elle va être, pour reprendre les termes exacts du texte grec « tiraillée », elle est en plus dans un « multiple » service et enfin elle s’énerve :
- « Tiraillée » : visiblement elle veut être parfaite même dans ce qui ressemble à une invitation impromptue, c’est-à-dire une improvisation. Cet événement surgit et elle veut le maîtriser, le contenir, comme les disciples lors du récit de transfiguration veulent « contenir » Jésus en dressant une tente pour stopper le devenir de l’événement, se le garder pour soi. Marthe veut être parfaite. A la manière du récit mythologique de la Genèse, elle croque le fruit de la connaissance du bien et du mal. L’imperfection, la faille, serait pour elle une souffrance. Il y a sans doute là un message à entendre : est-ce que nous supportons nos imperfections ? Est-ce que notre volonté de perfection ne nous mène pas nous aussi à un « tiraillement » intérieur, c’est-à-dire au fait de ne pas supporter notre limite ? Ne sommes-nous pas tous des Marthe ?
- Service « multiple » : on est dans le même registre. Vouloir tout faire. N’est-ce pas là une forme absolue de l’orgueil ? L’homme-orchestre ne sera jamais un orchestre symphonique ; une personne toute seule, un pasteur par exemple, ne sera jamais l’église. Encore un fois, croire que l’on se suffit à soi-même, que seul on peut tout faire est l’orgueil suprême, le péché humain.
- Elle se met en colère, interpelle Jésus sur le ton du reproche à sa sœur. Et croyez bien que je la comprends, moi enfant d’une grande fratrie et père d’une grande fratrie…. La non action de l’un est insupportable pour l’actif… Sa colère, humaine, est aussi le fruit de son/notre orgueil. Je fais tout, admirez-moi… Une leçon de vie, d’autant plus qu’après avoir accueilli le Christ elle se met en retrait, rate la relation avec lui.
- Quant à Marie, peut-on la qualifier, de « pur être », d’inaction ? En fait pas tout à fait… Dans ce récit très court où chaque mot compte, elle fait le geste de s’assoir. Rien ne dit ce qu’elle faisait avant, peut-être toutes les tâches ménagères aussi…. Mais là, dans un mouvement, dans une action, elle s’assoit. De plus, elle n’est pas inactive dans la mesure où elle écoute les paroles de Jésus. Elle est donc dans une interaction avec lui. Cela nous invite aussi à repenser ce qu’est notre être. L’être ce n’est pas immobile. Être, ce n’est pas ne rien faire, c’est vivre des interactions avec notre environnement, notre passé, c’est vivre et devenir à partir des relations que nous nourrissons. L’être de Marie après cette rencontre, ne sera pas tout à fait le même qu’avant. Quelque chose aura changé au plus profond de son être. On est loin de « l’être » façon bobo où il suffit de se « retrouver ». Non, ici, c’est « devenir ». L’être de Marie est un devenir, dans l’humilité (la position assise aux pieds) pour recevoir.
Bref, par caractère, je me sens si proche de Marthe, à vouloir régler tous les problèmes du monde. Mais ce texte viens me dire, non pas « arrête-toi », mais comme le disait le titre de ce magnifique film : « Vas, vis et deviens ! ».
Oui nous sommes tous en devenir, chacun-e, nous comme Église, nous comme humanité. Asseyons-nous et mettons-nous à l’écoute des paroles de l’évangile !
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