
« Pour un Christ euphorique… »
Culte du dimanche 28 octobre 2018
Culte de la Réformation par le pasteur Jean-Marie de Bourqueney
Hébreux 5.1-6 ; Marc 10.46-52
Texte de la prédication
Prédication du 28 octobre 2018, dimanche de la Réformation
Lectures : Hébreux 5.1-6 ; Marc 10.46-52
« Pour un Christ euphorique… »
Jean-Marie de Bourqueney
Le bonheur peut-il être l‘objet de la théologie et de la foi ? Au 16e siècle, les réformateurs ont enclenché le mouvement de la Réforme sur une question finalement assez proche : celle du salut. Mais à cette époque, on attendait le salut pour après la vie, dans l’au-delà. Maintenant, on l’attend dans notre vie, et on a raison. Sinon la foi ne serait qu’une vaine consolation pour faire passer la pilule amère de nos existences. Mais peut-on pour autant traduire « salut » par « bonheur » ? Peut-être doit-on inventer un nouveau mot, celui de « jubilescence », c’est-à-dire ce processus qui nous mène vers une forme d’épanouissement, dans une recherche personnelle, dans un devenir. Comment définir le bonheur ? C’est forcément une réponse subjective que l’on peut apporter. Ton bonheur n’est pas forcément mon bonheur. Seuls les systèmes totalitaires ont défini le bonheur : le soviétisme qui voulait imposer à tous un bonheur contraint, le nazisme qui voulait le bonheur pour quelques-uns en éliminant les autres. Parfois, nous avons aussi, dans nos Églises la tentation dogmatisante de vouloir tout définir de manière unifiée, y compris notre bonheur. Doit-on alors se taire au nom de la subjectivité ? Alors on se tairait sur Dieu car, là aussi, la réponse est subjective. Toute théologie est une parole sur Dieu, une tentative d’interprétation et non une parole à la place de Dieu. Nous vivons tous des parcours de recherche de sens dans nos propres existences.
La Bible contient elle-même de nombreux textes qui évoquent cette recherche du bonheur. Ici, dans l’évangile avec les récits de guérison, notamment celle de Bartimée où Jésus cherche « en passant » à remettre un homme debout, à le rendre auteur de sa propre vie, bref à lui faire retrouver un chemin de bonheur possible. Ici, l’autorité dé Jésus consiste (selon l’étymologie même du mot « autorité »), à rendre l’autre auteur de sa propre existence. Le bonheur dans l’évangile est toujours un bonheur en devenir, pas un état fixe. C’est un bonheur qui remet debout. Même dans les béatitudes qui cultivent d’ailleurs le paradoxe de notre condition humaine en affirmant, par exemple « heureux ceux qui pleurent ». Le mot « makarios » est souvent traduit par « heureux » ou bienheureux », mais en fait le mot grec contient une idée de mouvement. André Chouraqui, dans les années 70, proposait une traduction originale de makarios par « en marche ! ». En marche ceux qui pleurent ! En marche ceux qui ont faim et soif de justice ! Évidemment, il ne pouvait pas savoir à l’époque la connotation politique que nous donnons aujourd’hui à cette expression…
La question n’est pas nouvelle. De grands théologiens se sont saisi de cette question du bonheur. Citons-en deux, parmi les plus grands : St Augustin et St Thomas d’Aquin. St Augustin, à la fin du 4e siècle, après sa conversion du manichéisme au christianisme, écrit un petit ouvrage : de beata vita (de la vie heureuse). Il fait de cette vie heureuse le but de toute affirmation théologique ! Néanmoins, il reste marqué par ses catégories philosophiques, notamment par son dualisme radical entre le corps et l’âme. Pour lui, seule l’âme peut être le lieu du bonheur. Il faut donc construire le bonheur pour l’au-delà de nos vies. St Thomas d’Aquin, au 13e siècle, évoque, lui aussi, souvent le bonheur. Mais le bonheur dont il parle n’est pas exclusivement tourné vers l’âme. Il doit être vécu dans le réel présent. Il nous faut le rechercher et le vivre.
Aujourd’hui, peut-être nous faut-il reprendre l’intuition des réformateurs du 16e siècle : le salut est à découvrir sans attendre. Cette grâce nous est offerte. Si nous voulons être des témoins de l’Évangile, si nous voulons protester pour l’être humain, si nous voulons que tous les Bartimée du monde puissent se redresser et retrouver la vue de leur propre bonheur, alors il nous faut revisiter nos discours et nos pratiques et mettre le bonheur sur nos étendards. Prenons quatre exemples :
- Dieu. On peut le concevoir de mille et une manières, comme une personne ou comme une énergie, mais nous dévons renoncer définitivement au Dieu terrible qui juge et condamne au profit d’un Dieu qui guérit et redresse, d’un Dieu puissance de vie qui nous permet de donner sens à nos propres vies. Si un discours sur Dieu attriste ton contemporain, le culpabilise, fait de lui un être soumis et non un homme libre, alors renonce à ton discours et change-le !
- Christ. Là encore, on peut débattre à l’infini sur la nature du Christ entre son humanité et sa divinité. Mais est-ce bien là le cœur de l’évangile ? N’oublie-t-on pas tous ces récits de rencontre et de guérison ? Relisons plutôt nos évangiles en y puisant ce dynamisme créateur ou recréateur. Car nous sommes tous, nous aussi, des Bartimée, assis sur le bord de la route. Le Christ dont nous voulons témoigner aujourd’hui pour notre monde est un Christ qui porte et apporte le bonheur. Au sens étymologique, celui « porte le bonheur » est « eu-phorique », de la même manière que l’évangile est une « nouvelle de bonheur » (eu-angelion en grec). Oui, notre Christ est « euphorique » !
- Saint-Esprit. Là encore, faut-il le chercher uniquement dans des guérisons ou des miracles comme le font certains ? Si l’Esprit est un souffle, il peut être fragile comme celui d’Elie. Il peut être intérieur, intime, pas nécessairement extraordinaire. Ce souffle peut-être celui qui me fait accéder à une « vie vivante », c’est-à-dire pleine, épanouie, et non pas une simple survie fonctionnelle.
- Église et rôle du culte. L’Église n’est pas un club fermé, une caste supérieure, pas plus qu’elle n’est une ethnie dont le culte serait simplement un marqueur identitaire. Là encore, le culte doit, à l’image du Christ, être « euphorique ». Cela ne signifie pas un spectacle humoristique mais plutôt un pourvoyeur de bonheur. Un chemin peut être tracé, un devenir rendu possible au milieu de nos existences marquées aussi par le tragique. Le professeur Léchot faisait remarquer que les réformateurs avaient une vision commune de la prédication, qui doit édifier et non pas culpabiliser. La prédication doit apporter du bonheur. Même si l’on sait que les caractères de Luther et de Calvin n’étaient pas les mêmes ! Un professeur d’histoire a fait un jour ce lapsus : au leu de dire Luther et Calvin, il a dit « Lutin et Calvaire ». Alors oui, prêchons pour une Église « lutinienne » et nonc « calvairesque ». L’Église doit être un lieu où il fait bon vivre. La convivialité, à laquelle nous tenons tant ici, n’est pas un artifice, une méthode pour reprendre des parts de marché et attirer une nouvelle clientèle… C’est l’étoffe même de notre vie d’Église. Je ne souhaite qu’une chose : qu’à la miniglise, qu’à la découverte biblique, qu’au catéchisme, qu’au groupe de jeunes, qu’au groupe Narthex, que dans les études bibliques et les formations, qu’au groupe de prière, qu’à la chorale, que dans les repas de paroisse, qu’au culte, qu’au conseil presbytéral, que dans nos actions d’Entraide, nous mettions le bonheur en exergue, pour le vivre et le partager, notamment avec celles et ceux qui sont en souffrance…
Notre protestantisme doit, pour cela, sortir de sa légendaire discrétion. Celle-ci était tout à fait honorable dans un temps où il fallait aider les plus pauvres sans se mettre en avant, sans « faire la charité ». Rendre service à tous était la priorité. D’où la participation protestante intense à la création de SOS Amitié, du Planning Familial, de SOS Suicide, etc… Mais aujourd’hui, on le sent bien, cela ne suffit plus car notre monde se cherche. Nos contemporains se cherchent et se sentent parfois un peu perdus. Alors, si notre Christ est euphorique, si notre Église est euphorique, elle doit sortir de ses murs et proposer du sens, proposer un chemin de bonheur. Et quand je parle de l’Église, je ne parle pas que de son institution. On reproche souvent à celle-ci de ne pas assez se faire entendre. Mais l’Église c’est chacun et chacune d’entre nous.
Alors, cette semaine, quel chemin de bonheur allons-nous proposer aux personnes que nous allons rencontrer ?
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