
« le bonheur, sans naïveté ni culpabilité ! «
Culte du Dimanche 14 avril 2018
Temple Batignolles
Par le Pasteur Jean-Marie de Bourqueney
Eglise Protestante Unie de Paris-Batignolles
» le bonheur, sans naïveté ni culpabilité ! «
Lectures : Matthieu 5,1-12 ; 22,34-40 ; Jacques 1, 22-25
Texte de la prédication
» le bonheur, sans naïveté ni culpabilité ! » (Matthieu 5,1-12 ; 22,34-40 ; Jacques 1, 22-25)
Pour les détracteurs du christianisme, nous serions soit naïfs (tout devient beau si on aime Jésus…) ou culpabilisant (avec nos discours sur le péché). Et ils ont en partie raison, tant nous avons eu effectivement ce type de discours.
Mais si l’on s’éloignait de ce double risque en revenant à ce que nous dit le texte biblique, notamment dans ces Béatitudes, où le bonheur devient paradoxal, c’est-à-dire ni naïf, ni culpabilisateur. Les évangiles utilisent le genre littéraire du discours pour cultiver ce paradoxe : on ne peut dire le bonheur que de manière paradoxale. Si nous évoquions le bonheur uniquement en positif, nous serions naïfs ; si nous le faisions uniquement en négatif, nous serions désespérants. L’espérance chrétienne, celle du Christ est donc d’abord un « malgré », une affirmation que la spiritualité doit me porter vers un bonheur mais sans nier ma condition humaine complexe et fragile, sans nier la beauté en même temps que la difficulté des relations humaines.
Comment dire l’amour, la foi le bonheur ? L’amour du prochain ? Les autres religions, et même la quasi-totalité des convictions philosophiques, parlent aussi de l’amour altruiste, en dehors des intégrismes qui gangrènent toutes les convictions humaines, avec ou sans Dieu. Alors qu’est-ce qui distingue le monothéisme judéo-chrétien des convictions sans dieu ou des religions polythéistes ? Je crois que c’est ce que j’appellerais la « triple alliance » : « tu aimeras ton Dieu (1e alliance), tu aimeras ton prochain (2e alliance) … comme toi-même (3e alliance). » Le christianisme fait en plus le choix de lier cette triple alliance à une incarnation. Ce Dieu de la triple alliance est révélé, incarné, parmi nous, par cet homme. On ne peut alors plus considérer qu’il y aurait les affaires du ciel et, par opposition, celles de la terre. (« Soyez heureux le dimanche ou dans vos prières et malheureux le reste du temps. ») Cette incarnation est un appel à une forme de cohérence : ma foi bouleverse toute mon existence.
Cela à plusieurs conséquences :
- Ma relation à l’autre est « médiatisée » par une présence tierce ; l’autre est image de Dieu c’est-à-dire en même temps visage de Dieu mais aussi occasion de rencontrer Dieu, non une image fixe. Et si quelqu’un vous agace, regardez-le comme un visage de Dieu pour vous à cet instant…
- Dieu est dans l’existence, dans la mobilité. Je me construis par les évènements ; j’apprends à devenir pleinement humain. Initiation à l’amour. Temps futur qui laisse la place au devenir. Il existe une forme de pédagogie de l’amour chrétien : tu apprendras à aimer ton Dieu, tu apprendras à aimer ton prochain, tu apprendras à t’aimer toi-même (et ce n’est pas le plus facile…). Cet espace du devenir doit nous faire éviter d’enfermer trop vite les personnes dans des catégories figées, fermées.
- L’amour ne s’invente pas, il se partage. C’est parce que l’amour de Dieu préexiste à tout amour humain que je peux le recevoir, avant de le partager. Apprenons à RECEVOIR. L’éducation chrétienne est, à juste titre, portée sur l’amour du prochain. Mais, à force d’en faire un impératif, un devoir, cela ne comporte-t-il pas des risques ? Celui de l’oubli de l’amour de soi (le « comme toi-même » de la 3e alliance) ? Celui de ne plus savoir recevoir ? En effet, il est plus facile d’aider que d’être aidé. Cela nous est tous arrivés : lorsque nous traversons des moments difficiles, nous n’osons pas (plus) demander de l’aide, avec même parfois un sentiment de culpabilité ? L’échange c’est donner, mais l’échange c’est aussi recevoir.
- L’autre n’est pas moi, Dieu merci ! La diversité est à conjuguer sinon ce sont nos colères et nos ressentiments qui nous mènent à cette « tendre indifférence » (Camus) . Si l’amour chrétien se joue dans la relation à l’autre, je dois franchir les murs qui me séparent de l’autre, mais il existe toujours une part irréductible, une singularité de l’autre. S’approcher de l’autre sans jamais le contenir, le tenir, l’enfermer.
La foi est donc un recentrage spirituel de l’amour auquel l’évangile nous invite :
« De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes », mot-à mot, peut être traduit par « à ces deux commandements, toutes la Loi est suspendue (krématai, en grec)) et les prophètes ». Ce mot a donné notre « crémaillère » sur laquelle on accrochait notre nourriture dans la cheminée… Autrement dit, l’amour est le point d’orgue de la spiritualité, la clé de voûte de la cathédrale de la foi. Parce que je crois, je reçois de l’amour ; parce que j’en reçois je peux en partager. Il n’y a pas d’un côté la spiritualité et de l’autre la morale. La foi chrétienne est une Parole. Mais, en hébreu, la parole se dit « davar », que l’on peut traduire par « parole », mais aussi par « acte ».
Si l’on suit cette belle voix du bonheur réaliste et spirituel, notre Église doit alors porter cela dans ses actions : nous ne sommes pas en dehors de la condition humaine. Nous devons rire ensemble, penser ensemble, prier ensemble, pleurer ensemble. Même les rites nous le rappellent : enterrements, baptêmes, mariages… C’est le sens profond de nos projets. L’Église n’est pas un décor, mais une réalité faite de chair et de sang. Nous refusons la naïveté des vains espoirs, mais tout autant la résignation qui nous ferait baisser les bras.
Du coup, la question se pose différemment de savoir comment « parler » de la foi. Bien sûr nous devons continuer à mettre des mots sur notre foi, à faire de la recherche théologique, à témoigner par nos mots à l’extérieur de notre église ; mais cela passe autant par les actes d’amour. Nous sommes « témoins » du Christ c’est-à-dire témoins de la triple alliance.
Jean-Marie de Bourqueney,
15 avril 2018
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