Culte de la Réformation - prédication
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Culte de la Réformation – prédication

Culte donné par le pasteur Jean-Marie de Bourqueney à la paroisse de Montargis le 31 octobre 2021.

 

Culte de la Réformation – Montargis 31 octobre 2021 – Prédication

Romains 1, 16-17 ; 5,1-11

 

Le 31 octobre 1517, Luther « aurait affiché » ses 95 thèses. (Il est probable que ce furent plutôt ses disciples que lui-même). Est-ce un évènement si important ? Est-ce notre 14 juillet protestant ? D’ailleurs, le 14 juillet 1789, jour de la prise de la Bastille, Louis XVI avait écrit dans son journal un simple mot : Rien. Pourrait-on écrire la même chose ici ? Oui et non. Cet affichage fut d’abord un évènement polémique, à partir d’une seule question : celle des indulgences, c’est-à-dire le fait de pouvoir « acheter » son salut, en enrichissant l’Église. Mais, en même temps, c’est à partir de cette question que Luther va réfléchir, plus en profondeur sur le rôle de l’Église et sur le « salut » que peut apporter Dieu. C’est un évènement relatif mais en même temps le début d’un processus dont nous sommes aujourd’hui les héritiers. De plus, ces 95 thèses sont très négatives, polémiques. Or, aujourd’hui nous n’en sommes plus du tout là dans notre relation avec l’Église catholique. Par exemple, un accord un accord entre protestants et catholiques a été trouvé sur la justification, qui fut pourtant l’une des bases de la Réforme de Luther et des autres. La déclaration a été signée à Augsbourg le 31 octobre 1999. Juste un chiffre de plus : plus de 90 % des bénédictions de mariage dans ma paroisse des Batignolles, depuis dix ans que j’y suis, sont entre deux personnes catholique et protestante. L’œcuménisme est donc devenu notre réalité quotidienne.

Le temps n’est donc plus ni à la polémique, ni à la déchirure. L’existence de plusieurs traditions au sein du christianisme n’est nullement un scandale, ou une atteinte à notre profonde fraternité. Je veux que continuent à co-exister plusieurs églises. Sommes-nous obligés d’être jumeaux pour être frères ? Ou pouvons-nous vivre nos différences comme une obligation au dialogue qui nous contraint à approfondir la cohérence de chacune de nos traditions. Je suis toujours plus capable d’amour quand je sais qui je suis, quand ce que je vis a un sens.

Question ultra fréquente : qu’est-ce que le protestantisme ? Je réponds souvent à cette question par une autre question : combien avez-vous de temps ?… En effet, on peut y répondre par une encyclopédie en vingt volumes, mais il nous faut chercher une phrase de moins d’une minute ! Pour ma part, j’ai choisi le protestantisme pour deux raisons : la liberté et le retour au texte.

Petite anecdote familiale : mon père, lors de la Seconde Guerre Mondiale, fut résistant, notamment dans la Haute-Loire, région où le protestantisme était très présent (exemple du Chambon-sur-Lignon, village qui protégea les enfants juifs). Il me racontait que la différence entre un village catholique et un village protestant se voyait … par les noms de vache : Marie et Marguerite d’un côté, Rachel et Sarah de l’autre… On a la différence que l’on peut…

Depuis le XVIe siècle, sans doute les termes ont changé. On raconte, sans doute de manière imagée « l’épisode de la Tour », où par une nuit d’orage, Luther a ouvert les yeux sur sa relation avec Dieu. Luther vivait auparavant une vraie obsession de la perfection, et soudain, en 1515, il vit cette découverte du verset de l’épître aux Romains (Romains 1,17) :  En effet, la bonne nouvelle révèle comment Dieu rend les humains justes devant lui. Cette justice vient par la foi et a pour but la foi, comme l’affirme l’Écriture : « Celui qui est juste par la foi vivra. ». J’existe comme juste devant Dieu parce qu’Il a fait ce choix. Mes imperfections, mes erreurs, mes failles, en un mot mon péché, tout cela existe, mais cela ne fait pas de moi quelqu’un de méprisable.

Alors on comprend que la foi, que la religion, ne sont pas des avilissements de l’être humain mais bel et bien une forme de libération de l’esprit, et même une libération de la vie de tous les jours. Car, si je ne passe pas tout mon temps à la recherche de la perfection formelle, alors je libère mon temps pour vivre, pour aimer, pour accueillir, pour rencontrer. Il faut ici rappeler la racine du mot « exister » = sortir de soi. Il nous faut donc sortir de l’obsession de soi, passer de l’égo-centrisme à l’altruisme.

En se présentant devant la diète de Worms du 16 au 18 avril 1521, Martin Luther n’a que deux solutions : se rétracter, ou prendre le risque d’être mis au ban de l’Empire. Après avoir demandé une nuit de réflexion, il fait la déclaration désormais célèbre dans laquelle le rôle de la conscience est déterminant : « À moins d’être convaincu par le témoignage de l’Écriture et par des raisons évidentes, car je ne crois ni à l’infaillibilité du pape ni à celle des conciles, puisqu’il est établi qu’ils se sont souvent trompés et contredits, je suis lié par les textes bibliques que j’ai cités. Tant que ma conscience est captive des paroles de Dieu, je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr, ni salutaire d’agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide ! Amen »

Alors qui sommes-nous ?

  1. La première tentation « commode » est celle de la définition négative… nous nous positionnons par rapport au catholicisme, et même dans une sorte d’opposition en miroir. Cette démarche anti catholique ne se nourrit que de l’existence des autres…. Cela nous mène à l’absurde, au repli et à la caricature : un protestant « ne croit pas à la Vierge », un catholique « obéit au pape », etc… Il faut ici rappeler que le mot « protestant » n’est que le résultat d’une anecdote : celle d’une « lettre de protestation » des princes allemands, envoyée à l’empereur.

 

Mais il est vrai qu’il demeure aujourd’hui deux différences irréductibles :

  • Statut de la tradition par rapport au texte. Pour le protestantisme, la Bible reste la seule référence, là où le catholicisme lui ajoute la Tradition, c’est-à-dire tout ce qui a été vécu par l’Église depuis les origines.
  • Ecclésiologie : Dans le schéma catholique, redéfini à Vatican II autour de la notion de « sacramentalité de l’Église », Dieu agit dans le monde au travers de l’Église. Celle-ci est donc le mode d’action de Dieu dans le monde. On parle alors de « foi de l’Église » et des sacrements qui traduisent cette nécessité de l’Église. Dans un schéma protestant, l’Église est seconde (pas secondaire) : Dieu inspire les croyants qui s’assemblent en Église, qui « font communauté ». La notion d’Église institutionnelle est donc relative. Celle-ci n’a pour mission que de faire vivre la fraternité et les témoignages des fidèles qui la composent.

 

Les autres différences (par exemple l’éthique), sont transversales car le protestantisme est très varié et le catholicisme l’est devenu de plus en plus.

 

  1. Définition positive : le 31 octobre 1517, Luther aurait donc affiché ses 95 thèses, souvent négatives, comme il en existe chez Calvin aussi. Mais il existe aussi une autre signification positive de « pro-testimonium» qui signifie « témoignage pour » (et non seulement « contre »)

 

  • Le juste vivra par la foi: re-découverte de Luther. Chacun est ce qu’il est, simul justus et peccator, c’est-à-dire imparfait et aimé par Dieu. Autrement dit, cette nouvelle approche de la foi prend en compte notre fragilité, et donc notre condition humaine.
    • Être protestant c’est refuser d’opposer la spiritualité à la vie quotidienne, c’est proposer à chaque être humain de réconcilier sa vie et sa spiritualité ; c’est rechercher une cohérence (toujours imparfaite) entre sa vie et ses convictions. Il existe une vraie difficulté dans nos modes de vie. Nous ne sommes pas des « chrétiens du dimanche », mais nous avons une réelle difficulté à nous sentir pleinement chrétiens dans tous les secteurs de nos vies, notamment au travail…
    • Le pardon est un rebond : la justification n’est pas simplement un acte isolé sans conséquence. 1er je le découvre dans la foi ; 2ème j’en « vis » (le juste vivra par la foi). C’est ici la place d’une espérance. Contrairement à l’espoir qui est passif, l’espérance est une invitation à l’action, qui fonde une démarche éthique de combat, contre tout ce qui défigure et avilit l’humain.

 

  • Sacerdoce universel : tous prêtres, tous laïcs. C’est une profonde démarche d’humilité.
    • Cette humilité est enracinée dans une critique de tout pouvoir (cf. pharisiens de l’évangile) : celui qui s’abaisse sera élevé et vis versa.
    • Attention : égalité de valeur n’est pas indifférenciation des fonctions. Il existe des fonctions différentes dans la société comme dans l’Église. Mais la valeur n’est pas la fonction. Egalité de valeur devant Dieu : il n’y a plus ni juif, ni grec ; ni homme libre, ni esclave ; ni homme, ni femme. Cela a du sens aujourd’hui : manque de reconnaissance des uns, survalorisation des « stars » d’un jour… En même temps nous n’existons pas que par notre nom, date et lieu de naissance et profession, comme si cela disait tout de nous. Nous ne sommes pas enfermés dans une fatalité sociale. Notre protestantisme prône l’émancipation de la condition sociale au profit d’un libre choix. Le fond de toute identité humaine c’est l’image de Dieu.
    • « Privatisation » de la foi : la foi n’est pas faite pour être « démonstrative », mais elle est enracinée dans l’intime de chaque personne. Nous avons à vivre trois stades : privé (spiritualité), dialogue partagé (église), témoignage public. 3 niveaux de la foi protestante qui doit toujours viser un « témoignage pour ». Oui le protestant revendique une foi personnelle qui prime sur celle de l’Église. Oui, le protestant revendique une forme d’individualisme spirituel, mais qui qui n’est ni égocentrisme ni repli, mais volonté tournée vers les autres. Le paradoxe du protestant est d’être un individualiste altruiste. Le journal Réforme avait fait une enquête, montrant que l’engagement associatif des protestants est une dimension très importante de notre identité, avec une moyenne très supérieure à la moyenne nationale.
  • Je me rends compte que je n’ai pas encore parlé aujourd’hui de liberté qui pourtant orienta mon choix de vie… mais c’est qu’au fond elle est implicite dans toute démarche spirituelle…

L’histoire des protestants en France fut toujours une promotion de cette valeur essentielle de la liberté. Beaucoup moururent pour cela. De la conscience de Luther aux combats d’aujourd’hui, en passant par la résistance de Marie Durand, emprisonnée pour sa foi dans la Tour de Constance pendant 38 ans, par la participation active des protestants au siècle des Lumières et des idées nouvelles qui forgent aujourd’hui notre République, mais encore au combat pour la laïcité, et encore pour la défense des juifs dans les années sombres ou des réfugiés de notre monde contemporain. Tout cela, ce sont nos combats que nous avons partagé avec d’autres êtres humains de bonne volonté. C’est notre héritage mais aussi notre vocation.

Mais après tout, vous avez la liberté de ne pas être d’accord avec tout ce que je viens de vous dire ; vous avez la liberté de proposer (protestimonium) votre propre approche du protestantisme ; mais ensemble, nous pouvons vivre et espérer car nous somme justifiés par Dieu…

 

Jean-Marie de Bourqueney

 

 

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