
« La peste, le coronavirus, la peur et la liberté »
Dimanche 08 mars 2020
« La peste, le coronavirus, la peur et la liberté »
Lectures : Luc 17,11-21
par le pasteur Jean-Marie de Bourqueney
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Texte de la Prédication:
Prédication faite le 8 mars au temple des Batignolles
Luc 17,11-21
« la peste, le coronavirus, la peur et la liberté »
Texte de référence :
11Tandis que Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa le long de la frontière qui sépare la Samarie et la Galilée. 12Il entrait dans un village quand dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils se tinrent à distance 13et se mirent à crier : « Jésus, maître, prends pitié de nous ! » 14Jésus les vit et leur dit : « Allez vous faire examiner par les prêtres. » Pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés de leur lèpre. 15L’un d’entre eux, quand il vit qu’il était guéri, revint sur ses pas en louant Dieu à haute voix. 16Il se jeta aux pieds de Jésus, face contre terre, et le remercia. Or cet homme était un Samaritain. 17Jésus dit alors : « Est-ce que les dix n’ont pas été guéris ? Où sont les neuf autres ? 18Il ne s’est trouvé personne pour revenir remercier Dieu, sinon cet étranger ? » 19Puis Jésus lui dit : « Relève-toi et va ; ta foi t’a sauvé. » 20Les pharisiens demandèrent à Jésus quand viendrait le règne de Dieu. Il leur répondit : « Le règne de Dieu ne vient pas comme un événement qu’on pourrait voir venir. 21On ne dira pas : “Voyez, il est ici !” ou bien : “Il est là !” Car, sachez-le, le règne de Dieu est au milieu de vous. »
Prédication
Une fois n’est pas coutume, dans des circonstances exceptionnelles qui nous interrogent et nous inquiètent, je voudrais commencer cette prédication en laissant les mots d’Albert Camus venir à vous. Voici quelques extraits de l’ouverture d’un de ses romans le plus connus : « La peste », écrit en 1947. Il se trouve que cette semaine, ses ventes ont explosé. Comme une manière de nous replonger dans cette historie parabole de notre histoire contemporaine de l’épidémie.
« Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran. De l’avis général, ils n’y étaient pas à leur place, sortant un peu de l’ordinaire. À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture française de la côte algérienne.
La cité elle-même, on doit l’avouer, est laide.
Une manière commode de faire la connaissance d’une ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt. Dans notre petite ville, est-ce l’effet du climat, tout cela se fait ensemble, du même air frénétique et absent. C’est-à-dire qu’on s’y ennuie et qu’on s’y applique à prendre des habitudes. Nos concitoyens travaillent beaucoup, mais toujours pour s’enrichir. Ils s’intéressent surtout au commerce et ils s’occupent d’abord, selon leur expression, de faire des affaires.
On dira sans doute que cela n’est pas particulier à notre ville et qu’en somme tous nos contemporains sont ainsi. Sans doute, rien n’est plus naturel, aujourd’hui, que de voir des gens travailler du matin au soir et choisir ensuite de perdre aux cartes, au café, et en bavardages, le temps qui leur reste pour vivre. Mais il est des villes et des pays où les gens ont, de temps en temps, le soupçon d’autre chose. En général, cela ne change pas leur vie. Seulement, il y a eu le soupçon et c’est toujours cela de gagné.
Ce qui est plus original dans notre ville est la difficulté qu’on peut y trouver à mourir. Difficulté, d’ailleurs, n’est pas le bon mot et il serait plus juste de parler d’inconfort. Ce n’est jamais agréable d’être malade, mais il y a des villes et des pays qui vous soutiennent dans la maladie, où l’on peut, en quelque sorte, se laisser aller. Un malade a besoin de douceur, il aime à s’appuyer sur quelque chose, c’est bien naturel. Mais à Oran, les excès du climat, l’importance des affaires qu’on y traite, l’insignifiance du décor, la rapidité du crépuscule et la qualité des plaisirs, tout demande la bonne santé. Un malade s’y trouve bien seul.
Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier. Sur le moment, il écarta la bête sans y prendre garde et descendit l’escalier. Mais, arrivé dans la rue, la pensée lui vint que ce rat n’était pas à sa place et il retourna sur ses pas pour avertir le concierge. Devant la réaction du vieux M. Michel, il sentit mieux ce que sa découverte avait d’insolite. La présence de ce rat mort lui avait paru seulement bizarre tandis que, pour le concierge, elle constituait un scandale. La position de ce dernier était d’ailleurs catégorique : il n’y avait pas de rats dans la maison. Le docteur eut beau l’assurer qu’il y en avait un sur le palier du premier étage, et probablement mort, la conviction de M. Michel restait entière. Il n’y avait pas de rats dans la maison, il fallait donc qu’on eût apporté celui-ci du dehors. Bref, il s’agissait d’une farce »
Et cette « farce » devint un drame, celui de la peste qui envahit la ville !
La peste hier, le coronavirus aujourd’hui, la lèpre avant-hier aux temps bibliques. A cette époque, la lèpre regroupait en fait toutes les maladies de peau dont on soupçonnait, en vrac, qu’elles fussent contagieuses et mortelles. On « confinait » les porteurs de cette maladie, ou plutôt on les rejetait en dehors de la société. Le texte biblique précise d’ailleurs que Jésus était « entre la Galilée et la Samarie. A l’époque les frontières n’avaient ni poste de douane, ni carte IGN. La frontière était une notion floue. On laissait en fait une sorte de bande de territoire entre les deux, comme un « no man’s land ». Et c’est là que l’on rejetait ces malades parfois sous forme de villages entiers. Une sorte de quarantaine à côté de laquelle on passait
De plus, ces malades étaient rassemblées quelles que soient leur nationalité. Dans la maladie nous sommes tous les mêmes. En cela, le coronavirus interroge notre humanité. Devant cela, nous sommes tous les mêmes tous, nous sommes tous reliés, à telle point que maintenant on nous demande de nous écarter les uns des autres (cette prédication était avant le confinement actuel !). Cette mondialisation, cet universel nous rend puissants, certes, mais infiniment fragiles aussi. Peut-être est-ce là une prise de conscience de notre fraternité de manière paradoxale. Encore une fois notre humanité est interrogée, ainsi que nos modes de fonctionnement, économiques notamment, mais aussi de tourisme et de loisir.
C’est là le décor de cette histoire, de cette parabole. Qui plus est, la scène se situe entre Samarie er Galilée, c’est-à-dire entre juifs et samaritains, les frères ennemis issus du même peuple mais séparés depuis des siècles. Un juif n’a pas le droit de parler à un samaritain. Quelques chapitres avant, l’auteur de l’évangile de Luc raconte d’ailleurs l’histoire du « bon samaritain », de ce frère ennemi qui seul s’occupera de l’homme blessé sur le bord de la route. Luc insiste toujours sur cette forme de transgression des adversités, de l’inclusion de l’autre dans mon espace de vie et de relation.
Et là, tout commence par un cri, celui des lépreux, par une attente forte d’être « sauvé », en jouant sur le double sens de ce mot (le salut mais d’abord la santé !). Une fois encore Jésus s’arrête, comme souvent dans le récit de l’évangile prend le temps d’écouter Et là, il va faire un miracle sans geste, si salive ni rien d’autre qu’une parole. Rappelons que dans la tradition biblique (relisons Genèse 1), Dieu est créateur par la Parole. On assiste donc ici à une re-création de ces 10 hommes, une restauration de leur dignité, une résurrection de leur humanité.
D’ailleurs il va leur dire quelque chose d’incroyable : de retourner au temple, pour voir les prêtres ! C’est une pure folie, par rapport au regard des autres qui veulent les fuir. Oui mais c’est durant cette marche, durant ce retour vers la vie qu’ils vont être sauvés. Jésus joue sur le paradoxe du geste parfaitement religieux (faire vérifier la guérison la guérison par les autorités religieuses, ce qui était la règle à l’époque) et le dépassement de ce religieux en transgressant l’interdit, la mise en quarantaine définitive.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là : sur les dix lépreux guéris, neuf disparaissent dans la nature, c’est-à-dire retournent à une vie normale, libre, insérée dans la société. Un seul, revient vers Jésus pour rendre grâce à Dieu. Oui, mais c’est un samaritain, ce fameux frère ennemi, cet « étranger ». Le mot ici employé en grec « allogénès », est un mot unique dans la Bible mais il est inscrit à l’entrée du temple pour en interdire précisément l’entrées aux « étrangers ». On peut avoir ici deux hypothèses : il est quand même allé au temple de Jérusalem et a transgressé l’interdit, ou il est allé en Samarie, à la différence des autres, voir les prêtres de sa propre religion (cousine proche du judaïsme), et il revient parlé au juif Jésus (comme si d’ailleurs celui-ci était resté sur place… nous sommes bien dans une parabole !). Dans les deux cas, c’est une transgression ! Mais c’est surtout le seul des dix « guéris » qui mesure ce qu’il a reçu. Il est reconnaissant de la grâce. Le verbe employé en grec, eucharistein, qui a donné le mot « eucharistie » désigne précisément « rendre grâce à Dieu ». Il est le seul qui mesure ce qui s’est passé. Il est le seul qui donne du sens à l’événement qu’il a vécu. Sa maladie n’était pas juste. Aucune maladie ni souffrance ne peut être justifié, même si le christianisme a souvent cédé à la tentation de justifier le mal par l’idée d’un Dieu punitif à la limite du sadisme.
Précisément sur ce point, revenons à « La peste » de Camus. Dans le roman, on ferme les portes d’Oran et la « communauté » cloitrée vit le drame. Le prêtre du lieu, le père Paneloux, fait une première homélie à la messe. Albert Camus s’est d’ailleurs inspiré de vraies homélies… Il y développe l’idée de la punition méritée et de l’appel à la repentance, comme si Dieu avait voulu cela. Il est dans son rôle, il est enfermé dans ses principes et dans ses dogmes inhumains. Comme le prêtre et le lévite de la parabole du samaritain en Luc 10, qui, au nom de leur principe (interdiction de toucher un mort) ne s’étaient pas approché de l’homme laissé pour mort. Leur dogme était supérieur à leur compassion. Ils ne l’ont pas « sauvé ». Oui, mais voilà… un enfant, dans le roman, va mourir quasiment dans les bras du père Paneloux. Un enfant ! Puni par Dieu ? Lui-même n’y croit plus, lui-même (re)devient humain. Il fait alors une seconde homélie et s’efface derrière un « je ne comprends pas ». Aucune raison ne peut accepter cela. Il prêche alors l’action et la compassion fraternelle. Peut-être alors est-il devenu enfin un vrai témoin du Christ.
Bien sûr, il nous faut ajouter un point : Albert Camus publie son roman en 1947, deux ans après la fin de la « peste brune » du nazisme qui a fait exploser le monde ! Son appel, éternel, et donc pour nous, de nous méfier de ces « farces » (le rat sur le palier) qui s’avèrent être des tragédies pour l’humanité. Or, notre monde n’est plus à l’abri de cela. Les haines et les nationalismes dévoyés sont présents, et même dans le pouvoir de certains pays. La peste d’Albert Camus est un appel vibrant à apprendre, voire réapprendre, à vivre ensemble. Oui, encore aujourd’hui, cela est un défi, mais avant tout une exigence
Sans doute le coronavirus continuera de nous embêter, voire de nous faire peur. En tout cas, Dieu n’y est pour rien. L’origine et la solution à cette crise est en nous. Dieu est cette énergie qui nous donne la force du salut, sur la route qui nous fait sortir de notre quarantaine éternelle pour aller vers nos vies, telles qu’elles doivent être vécues. Mais cette crise est aussi l’occasion d’interroger notre humanité, notre condition fragile et puissante, reliée mais contagieuse. Prenons ce temps pour revenir sur l’essentiel : c’est quoi un être humain ?
« Qu’est-ce que l’homme pour que tu en aies souci ? » (Psaume 8,4)
Jean-Marie de Bourqueney
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