« Une nature et un être humain en devenir »

Prédication du 23 juin 2019, lors de la journée paroissiale sur le thème synodal de l’écologie. Textes de références : Psaume 8 et Genèse 2.
Notre foi protestante est une foi qui valorise de manière forte l’individu, la personnalisation. Certains parlent d’une forme d’individualisme. Mais, en même temps il y a dans nos traditions une forme de rigueur morale tournée vers les autres. On peut parler « d’individualisme altruiste ». Comment alors faire face à la crise écologique que nous vivons, et envisager l’avenir ? Tout en maintenant une « vocation », celle de l’espérance. Car le psaume 8 nous éloigne du catastrophisme ambiant. Il nous appelle à aimer le monde, à le chérir, à le considérer comme plus important que le ciel. Notre foi est donc « mondaine », « incarnée », ni dogmatique hors sol ni éthérée dans une volonté de fuite du monde vers un-delà idéalisé. Non, nous avons les pieds dans la glaise originelle avec passion.
L’être humain est « presque » un Dieu.
Le verset 6 du psaume nous dit, mot-à-mot : « Tu lui as fait manquer de peu d’être Élohim. » D’ailleurs comme parfois, la traduction grecque (LXX) et la Vulgate en latin de St Jérôme qui servirent de référence traduisent par « ange ». Non c’est bien de Dieu qu’il s’agit : Élohim. Nous sommes presque des dieux…. Mais évidemment la subtilité de cette affirmation tient dans le « presque ». Quiconque pense qu’il est vraiment Dieu devient un tyran absolu, un fou, un fanatique, un meurtrier. Nous sommes presque des dieux, c’est-à-dire que nous avons un rôle particulier, au nom de Dieu à jouer dans la vie et dans le monde. Nous pouvons tels des dieux influencer l’avenir de notre planète… Qu’en faisons-nous ? L’écologie est un défi pour l’humanité car elle menace l’humanité et l’ensemble de la planète. Être presque un dieu c’est au fond donner à l’être humain une responsabilité singulière.
Nous avons donc un « rôle », celui de gérant, de responsable du projet divin. Dieu n’impose pas et ne tire pas les ficelles de marionnettes que nous serions, mais Dieu propose : « tu as mis sous ses pieds », nous rappelle le psaume 8. Certes l’écologie est un sujet qui concerne tous les citoyens. Il ne relève pas d’abord d’une parole d’Église ; nous n’avons pas besoin de celle-ci pour savoir trier nos déchets et avoir un comportement raisonnable… Le « prescriptif » est étranger à la religion, mais, comme croyants, nous avons à nous rappeler cette vocation à la responsabilité. Nous n’allons pas, à nous seuls, sauver le monde mais nous avons à nous sentir concernés par la question. Nous sommes presque des dieux, c’est-à-dire des êtres singuliers mais pas des intégristes d’une nouvelle loi ou religion qui s’imposerait sans débat.
Le co-développement de l’humain et de la nature
L’écologie est aussi un « défi » pour l’humanité, car il nous contraint à repenser la notion même d’humanité. Nous avons trop valorisé l’être humain en le déconnectant de son environnement. Nous avons pensé l’homme en rupture par rapport au monde animal. Or, les dernières recherches sur les animaux nous montrent que le vieux modèle de la rupture (animal/humain) n’est plus tenable de manière aussi radicale qu’auparavant. Il n’existe pas de rupture, mais une complexité plus grande de l’être humain par rapport aux autres animaux. Dans la théologie du process (que je revendique et promeus), on pense l’existence comme un flux d’évènements, plus ou moins complexe, depuis la pierre qui vit ou subit des évènements jusqu’à l’être humain. Plus on avance vers l’être humain, plus la complexité se fait grande. Nous n’arrêterons pas de devenir ce que nous sommes. Cela fait notre force autant que notre fragilité, car nous pouvons disparaitre plus vite qu’une pierre. Penser l’être humain comme faisant partie de la nature, c’est le penser dans ses relations à Dieu, aux autre êtres humains, à lui-même mais aussi à la création. J’ai l’habitude de parler d’une « triple alliance : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu (1e alliance) (…), ton prochain (2e alliance) comme toi-même (3e alliance) ». On peut se demander s’il n’existe pas une 4e alliance, celle avec la nature…
Cela nous donne une vision plus dynamique de l’écologie. Il nous faut sortir d’un discours passéiste sur un Éden perdu à retrouver (une nature « à préserver » uniquement) et aller vers un discours porteur d’espérance, à l’inverse du catastrophisme. Avant d’autres, un certain nombre de théologiens du process, comme John Cobb ou David Griffin, ont alerté les chrétiens sur l’urgence de repenser notre relation au monde mais aussi de réformer notre vison de la nature : celle-ci est en transformation permanente. L’être humain n’existerait pas dans une nature qui n’aurait pas évolué. Le christianisme que nous avons à vivre est à l’image de cette notion même d’évolution : en devenir dans un monde en devenir.
L’arbre de la connaissance (ou la fameuse « pomme » qui n’en est pas une…) comme invitation à l’humilité
L’être humain ne peut tout savoir et se sentir tout permis. Cet interdit symbolique nous ramène à ce « presque comme un dieu » du psaume 8. Le péché, ce ne sont pas les petites peccadilles, les petites fautes que le christianisme a sans doute survalorisées en générant de la culpabilité inutile. Non, le péché c’est bien plus cette folie de croire que, tel Dieu, nous connaissons tout. D’ailleurs notons ici que la connaissance est désignée par un arbre, pas par le cerveau de l’être humain ! Le savoir est don extérieur à l’être humain comme la vérité lui est extérieure. Il est un chercheur, un interprète, pas un propriétaire de la connaissance et de la vérité. Cela doit nous inciter à ne pas nous prendre pour des êtres tout-puissants capables de tout. Nous avons à trouver, à chercher, à trouver encore et faire progresser notre science, c’est-à-dire nous rapprocher de l’arbre sans jamais le saisir complètement. La science a souvent ramené la religion à sa juste place, celle qui ne définit pas les choses et ne décrit pas comment le monde a été créé. Notre réflexion spirituelle doit aussi ramener notre science, et bien au-delà, l’ensemble de notre société à sa juste place, celle du progrès, mais pas de la toute-puissance contrôlée par quelques-uns. Celle d’une science au service de l’humanité, c’est-à-dire de chaque être humain qui partage avec la nature, le sort de notre planète.
« Qu’il est beau ton nom sur toute la terre ! »
Jean-Marie de Bourqueney, pasteur de l’église protestante unie de Batignolles
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